
Oeuvres 1986-1993 Joel Ducorroy
vues de l’exposition Oeuvres 1986-1993 Joel Duccoroy Photo©Younes Lagrouni vues de l’exposition Oeuvres 1986-1993 Joel Duccoroy Photo©Younes Lagrouni
Galerie Polaris
15, rue des Arquebusiers
75003 Paris
Tél. +33 (0)1 42 72 21 27
polaris(at)galeriepolaris.fr
Du mardi au samedi de 11h à 19h + 1 dimanche sur 2
From Tuesday to Saturday from 11 am to 7 pm + Sunday 2 – 6 pm
Commissariat Emilie Flory
10 octobre au 8 novembre
Joël Ducorroy
Imaginer, c’est choisir.1
Pour ses 40 ans, la galerie propose de terminer 2025 avec deux clins d’œil à son histoire. La dernière exposition de l’année sera un solo show de Speedy Graphito, premier artiste représenté par la galerie. Et pour octobre, Bernard Utudjian m’a invité à penser un accrochage des œuvres de Joël Ducorroy. Ravissement.
L’Art Conceptuel et le Nouveau Réalisme sont nés d’une rencontre avec un galeriste et un critique d’art2. Joël et Bernard ont cessé leur collaboration il y a longtemps, pour autant restent évidents le lien et l’influence que génèrent les interactions entre un jeune artiste et son jeune galeriste — dans l’effervescence du milieu des années 80.
Les collaborations et relations sont le sujet de plusieurs de mes propositions curatoriales récentes. Il m’a plu de penser l’exposition à partir des pièces disponibles ici et maintenant dans les tiroirs et sur les étagères des réserves, aller titiller mémoires et archives, mettre au mur pour la première fois des dessins préparatoires, plonger — amusée — dans une histoire méconnue de la galerie, de multiplier les multiples. Faire du non-choix, un choix.
œuvres (1986-1993) est une exposition à contraintes, posée/pensée/menée comme un concept, un principe oulipien. Elle porte haut son nom, elle est bien ce qu’elle dit, du moins ce que nous lisons ! Joël Ducorroy — œuvres (1986-1993) voilà qui éclaire.
L’artiste interroge l’autorité du signe. Il élabore un langage plastique inédit, en substituant à l’image sa désignation verbale gravée sur plaques minéralogiques, objets standardisés issus de la production industrielle. Ce geste radical post-pop et néo-conceptuel réactualise les débats d’alors sur la place du signe et du langage dans l’art contemporain. À une époque où le selfie n’existait pas, il pose aussi la place du faire, lui qui délègue la fabrication mais pas la composition. Son travail artistique est une variation singulière sur une même question : comment le langage, placé dans un dispositif artistique plaquetiste3, devient image, objet et œuvre. Joël Ducorroy reconnaît le monde dans lequel il vit, connaît ses proximités. J’aime lui adjoindre les mots d’un peintre, le premier « moderniste » Édouard Manet râlant de l’injonction : « … il faut être de son temps et faire ce que l’on voit. »4. Joël Ducorroy s’en empare, la détourne, contourne. Il nous fait lire ce que l’on voit, fait de la peinture sans pinceau. Il est peintre comme les Becher5 sont sculpteurs.
Regarder l’histoire d’un travail artistique sur le temps, imbriqué de Paris à New York, mêlé de tentatives et de confiances, de débats et de rebonds. Les porosités du quotidien deviennent les terrains, les terreaux de la création avec intelligence et humour, quand l’art et la poésie, la parodie et le détournement étaient intégrants de la vie, de la pensée, des amours et des amitiés ; créer, éditer, fabriquer… Joël Ducorroy est de cette génération aux affinités multiples, aux filiations avec Fluxus et la critique de la société des Nouveaux réalistes. Il a vu et digéré le Pop Art, s’inscrit dans les héritages des actes des conceptuels, de Supports/Surfaces et Art & Language, rencontre Warhol, échange avec Gainsbourg — qui lui souffle la phrase de sa première plaque —, se nourrit, palabre avec l’ami Raymond Hains et Jean-Claude Lange dans le jardin de l’Hôtel Windsor à Nice. Une époque.
À Paris, il a un galeriste auteur et éditeur ; la galerie Polaris produit avec lui de nombreuses œuvres et ses premiers multiples. La pratique de l’artiste se déploie, s’émancipe quelquefois de l’objet minéralogique pour passer par la photographie, le bronze, la gravure, la sérigraphie ou la reprographie. Les mots restent. L’écriture c’est peindre la parole.
Écrire et s’amuser. Lire, regarder, se figurer.
La plaque assume à la fois le rôle de matière, de signe et de forme. Elle brouille les frontières entre langage et image. Imaginer, c’est choisir. Aujourd’hui, les murs de la galerie se parent des couleurs universelles des plaques minéralogiques : bleu, jaune, vert, noir, blanc. Le Portrait d’Evguenie, celui de Mme B ou la garniture du Casse-croûtene seront les mêmes pour personne, tout comme ce Paysage romantique. René Magritte amorçait déjà cela en 1928 avec Le masque vide ; Joël Ducorroy radicalise, supprime toute figuration6. Ses œuvres nous offrent un système visuel paradoxal, les mots deviennent images, des images qui ne subsistent que dans l’imaginaire de chaque regardeur. Ce jeu constant entre absence et présence, texte et objet, sérieux, parodie et facétie, fait de l’œuvre de Joël Ducorroy une réflexion contemporaine sur la matérialité du langage et la nature même de l’œuvre d’art.
Portrait, paysage, nature morte : les genres classiques de l’histoire de l’art sont démontés puis réassemblés en unités verbales, disséminées dans l’espace d’exposition comme des éclats d’une réalité absente. L’art se regarde aussi lui-même, l’artiste le met en abîme, ŒUVRE, ŒUVRE NON ENCADRÉE, ŒUVRE ENCADRÉE, PHOTO, GRAVURE SUR BOIS, TITRE, PETIT FORMAT, MULTIPLE, LISTE DES PRIX, CARTEL de Ben, CARTEL de Rebecca Horn, CARTEL de Joseph Beuys… C’est ainsi que se découvrent les collections et les textes inédits dans de petits livres compagnons d’une plaque ; il y a aussi les coupes de fruits et les cannettes, les repas organisés par la galerie par le MENU. Un mot une plaque une couleur, des plaques des mots des peintures. L’artiste décline mots plaqués, images et peintures, le galeriste pense les productions et les éditions, ils jouent des multiplications.
Les œuvres de Joël Ducorroy ont donc cela d’extravagant : leur réalité même et l’ensemble de ce qui peut exister dès lors que nous les voyons, hyperphantasiques et aphantasiques7, poètes et cartésiens, amoureux de l’histoire de l’art et réalistes [hyper ou nouveaux d’ailleurs]. Alors, écrire c’est peindre la parole, nous donner à lire c’est voir et même imaginer ! Et donc si imaginer c’est choisir et que choisir c’est renoncer, renoncerait-on à imaginer ? Gageons que non. L’œil était sur la plaque et regardait le BHV8 !9
Émilie Flory
Manosque, septembre 2025
vues de l’exposition Oeuvres 1986-1993 Joel Duccoroy Photo©Younes Lagrouni vues de l’exposition Oeuvres 1986-1993 Joel Duccoroy Photo©Younes Lagrouni
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