Au premier abord, avec l’idée de photographier des lieux de pouvoir, on peut se laisser tromper par une fallacieuse impression d’académisme …c’est un piège .
Chez Eric Aupol, les apparences sont toujours fausses. L’idée de mettre en images une thématique autour des Lieux du pouvoir – en 2021, l’ancien siège d’une banque bd Haussmann et, en 2022, le Palais Bourbon qui abrite l’Assemblée nationale et de son théâtre à l’italienne – confirme l’unicité de sa démarche qui, depuis des années, s’attache à explorer dans toutes ses variables un matériau proche dans sa forme d’un environnement architectural.
Eric Aupol réussit magistralement à définir la notion même de l’existence d’un lieu de pouvoir. Avec la Banque, on est encore saisi par le poids d’austérité et presque de dissimulation qu’abritent encore ces murs. Et si l’Assemblée nationale devrait être le lieu parfait de représentation de la démocratie, on y découvre aussi, certes recouverts partiellement de bâches en plastiques, des figures de violence comme cette statue d’Eugène Cavaignac, gouverneur d’Algérie en 1848qui inaugura le 11 juin 1844, la pratique des enfumades sur les populations locales ou encore, plus banal, un Napoléon toujours en majesté.
De ces lieux, Eric Aupol aime à faire surgir le moindre mystère. Ses clichés investissent les escaliers, les différentes salles, les promenoirs, le moindre recoin. Le monde de l’artiste ne peut se satisfaire que de saisir quelques bribes. Il se veut au contraire envahissant, fruit d’une réflexion opiniâtre, menée avec une rare passion et de longue date. La rigueur géométrique du cadrage, presque toujours frontal, le velouté du grain photographique, le jeu subtil des reflets et de la lumière renforcent la puissance de l’esthétique de chacune des images qui se complètent, s’enrichissent et se parlent. On est là face à un travail photographique de grand talent, très méticuleux, imaginatif, presque obsessionnel avec des juxtapositions, des déplacements, de superpositions.
Avec cette série, l’artiste nous livre un récit du pouvoir dans une continuité vertigineuse que ponctue une certaine redondance. Mais, à y regarder de plus près, si les vues se succèdent, toutes se complètent et sont les acteurs d’une écriture plastique prolixe qui devient fascinante à force de logique. Les clichés se scandent en images dont chacune reprend sous une forme différente la même définition. Le répétitif n’est pas là recherche d’identité mais façon de marquer la totalité de l’espace défini par le photographe.
Une dialectique nait de cette succession de fragments et de traces qui forment un ensemble construit autour de la mémoire d’un lieu – la banque – ou de la représentation d’une démocratie aujourd’hui presque décadente. La réalité prend forme autour des images et s’ouvre sur une interrogation pour tenter de voir pourquoi ces lieux de pouvoir fascinent encore aujourd’hui.
Francoise Docquiert